Les données de santé ont capté l’attention du public avec la pandémie du Covid-19. Ses différents débats (efficacité des masques, toxicité de la chloroquine, des vaccins…) ont suscité la passion au-delà des sphères médicales habituelles. La France s’était pourtant préparée à fournir des données fiables pour aider les prises de décisions médicales, et alimenter un débat scientifique de qualité, en lançant le Health Data Hub, bien avant la crise sanitaire. Cette initiative, lancée en grande fanfare par le Président Macron, dans le cadre de sa ‘startup nation’, a eu au final un impact inexistant, telle une ligne Maginot en 1940.
L’opinion publique fut mise en déroute face à l’avancée fulgurante du virus, déboussolée en l’absence de données de santé faisant autorité. On l’a vu par exemple lors de la fraude aux données publiée dans le prestigieux journal Lancet, qui a trompé jusqu’à Olivier Véran et l’OMS (chronologie des événements dans un article précédent).
A ce moment-là, où était le Health Data Hub?
Malgré cette débâcle, le Health Data Hub revient aujourd’hui pour réclamer encore plus d’argent public, dans une tribune publiée dans le journal ‘Le Monde’.
N’ayant pas payé d’abonnement au ‘Monde’, je n’ai pas pu accéder à toute leur tribune en entier (assez ironique alors qu’ils parlent de faciliter l’accès aux données…) mais imagine-t-on André Maginot, à la Libération en 1945, réclamer des financements pour ses fortifications aussi coûteuses qu’inutiles?
Je ne reviendrai pas sur le besoin réel de disposer de bases de données de santé publiques en accès libre. On peut citer par exemple le TCGA américain, qui permet d’accéder librement à des données génomiques liées au cancer, et qui coûte 40 Millions de Dollars par an au contribuable américain, ou le Chan-Zuckerberg BioHub, parrainé par le fondateur de Facebook.
L’approche à la française est différente : au Health Data Hub, il y a une barrière d’accès, officiellement pour des raisons de sécurité et de respect du droit des malades.
Le résultat, c’est que l’innovation issue de ces données se retrouve asphyxiée par cette barrière réglementaire. Je ne sais pas si c’est du protectionnisme déguisé face aux géants du web américains et chinois (Facebook, Google, Baidu…), qui font leur entrée dans le secteur de la santé, et qui seraient prétendument moins éthiques que la Macronie, ou si c’est tout simplement du copinage, pour prendre en otage le bien commun que représentent les données médicales des Français. En tous cas, c’est suspect:
Sur le site web du Health Data Hub, on ne trouve aucune donnée de santé. Par contre, ils vous demandent vos données à vous. Dans mon cas, je n’ai même pas essayé de déposer un dossier, tellement ça avait l’air compliqué. Et surtout, je n’avais pas envie de divulguer les détails confidentiels de mes projets à mes concurrents potentiels, avant même d’avoir commencé. Si ça se trouve, le Health Data Hub exploite les idées des demandeurs pour inspirer le développement de leurs propres produits.
Plutôt que de jouer le jeu de cette bureaucratie biaisée, j’ai préféré lancer un Data Hub alternatif, ChingHub, résolument tourné vers le secteur privé. Ce choix d’une approche commerciale est assumé, je n’ai pas accès aux subventions publiques du Health Data Hub. Je ne connais pas Macron, ni ses amis, donc je traverse la rue.
ChingHub, c’est une platforme de e-commerce de type Amazon, qui permet de monétiser les données privées des startups biotech. Car il me semble que quand les données sont publiques, elles doivent être accessibles au public, mais si elles sont privées, elles deviennent alors une marchandise comme une autre, sur un marché ouvert à la concurrence.
Les jérémiades des universitaires du conseil scientifique du Health Data Hub illustrent à nouveau l’efficacité limitée de la dépense publique: si, au HDH, ils sont vraiment devenus les leaders des données de santé, pourquoi ont-ils encore besoin de subventions publiques? L’assistanat d’entreprise n’est pas une solution durable.
Je suis déçu par cette nouvelle distorsion de la concurrence, alors que selon nos chers traités européens, elle devrait demeurer libre et non faussée. Je comprends le souhait français de favoriser l’éclosion d’un ‘champion national’ d’envergure européenne, pouvant concurrencer les GAFAM. Mais cela ne marchera pas en gardant sous perfusion étatique un mammouth d’un autre âge. Du temps du Général de Gaulle, ce Health Data Hub s’appellerait probablement la ‘Compagnie Nationale des Données de Santé’. Après avoir dilapidé l’argent du contribuable français, ce ‘groupement d’intérêt public’ sera certainement privatisé sous la pression de Bruxelles.
En Angleterre, il y a deux ans, certaines voix s’élevaient pour que la NHS fasse commerce des données de santé des patients anglais (ils restent en avance sur la France pour ce genre de choses). J’avais fait part de mon indignation sur mon blog, car l’intérêt du patient anglais, c’est avant tout d’être soigné le mieux possible, et de faciliter l’innovation, avec des données accessibles gratuitement à tous. Vendre les données du public, ce n’est pas la meilleure façon de combler le trou de la sécu anglaise. A la suite de mon blog, certains ont rétropédalé, et ont revu leur copie.
J’espère que la France finira également par s’aligner sur les normes internationales d’ouverture des Data Hubs.
Mise à jour: le conseiller scientifique du Health Data Hub Rémy Choquet répond publiquement sur LinkedIn